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La convention nationale démocrate n’a jamais été « the place to be » (« l’endroit où il faut être »). Du moins, jusqu’à cette année, à en croire les vidéos des influenceurs qui défilent sur le tapis bleu du United Center de Chicago depuis lundi 19 août, multiplient les selfies avec les délégués, sirotent une coupe de champagne sur un bateau de luxe ou s’époumonent à l’arrivée de Barack Obama sur la scène, sous leurs casquettes « Harris Walz ».
Pour la première fois, deux cents créateurs de contenu ont été accrédités par le Parti démocrate pour couvrir la convention, avec un accès inédit aux événements et aux invités, similaire à celui des journalistes. Cinq d’entre eux se sont vu offrir une apparition sur la scène – la même sur laquelle se succèdent depuis trois jours Joe Biden, Kamala Harris et autres vedettes du parti. Parmi eux, l’influenceuse Deja Foxx, 140 000 abonnés sur TikTok, qui résume, entre deux « outfits of the day » (« tenue du jour »), sa prise de parole, organisée lundi. « J’ai pu mettre en lumière les questions qui vous préoccupent le plus, comme les droits reproductifs, le coût de la vie, la dette étudiante », s’émeut la jeune femme face à la caméra dès le soir même dans une vidéo au montage tourbillonnant, à l’image de sa première journée sur place.
Ces images sont l’incarnation d’une nouvelle stratégie du parti démocrate : aller toucher la nouvelle génération d’électeurs là où elle est. « Kamala Harris courtise ces influenceurs car ils peuvent atteindre des jeunes électeurs qui ne consultent pas les médias traditionnels », analyse Thomas Gift, directeur du centre sur la politique américaine à l’University College London. Selon une étude du Pew Research Center de novembre 2023, près de la moitié des Américains s’informent, au moins en partie, sur les réseaux sociaux. Parmi les moins de 30 ans, un tiers s’informe « régulièrement » sur TikTok. Impossible, pour les partis, de « rester sourds à l’influence de ces plates-formes », constate M. Gift.
En invitant la modèle et vixen Amber Rose à monter sur scène lors de la convention républicaine en juillet, Donald Trump avait tenté lui aussi de tirer profit de ces spécialistes des vidéos virales. L’ancien président, déjà utilisateur compulsif des réseaux sociaux lors de sa campagne de 2016 (à l’époque, sur Twitter), n’a pas hésité non plus à s’afficher aux côtés d’influenceurs comme Logan Paul ou Adin Ross. De leur côté, les démocrates sont en train de rattraper leur retard sur la puissance de frappe du mouvement MAGA (« Make America Great Again », slogan de Donald Trump) sur Internet.
Depuis l’arrivée de Kamala Harris dans la course à la Maison Blanche le 21 juillet, les adeptes de la « kamalamania » ont inondé les réseaux sociaux de mèmes humoristiques et créatifs sur les pas de danse ou les éclats de rire de la candidate, devenus en quelques semaines les symboles d’un enthousiasme démocrate retrouvé. Des symboles que le parti ne s’est pas privé de disséminer dans les salles à Chicago.
Pour le youtubeur Brian Tyler Cohen, « en accueillant des voix différentes, la convention a réussi à casser le moule d’un événement un peu vieux et guindé ». Et à susciter de l’intérêt auprès d’un public très large. « A moi tout seul, je peux toucher six à sept millions de personnes qui ne se seraient pas intéressées à la politique autrement », souligne-t-il. Sa dernière vidéo s’ouvre sur l’irruption du rappeur américain Lil Jon à la convention, mardi soir, chaîne brillante autour du cou et lunettes noires, sur quelques mesures de Turn Down for What : « un invité surprise » qui a « secoué le jour 2 », prévient le youtubeur en titre.
Les influenceurs savent retenir l’attention de leur public. Ils savent aussi gagner leur confiance. S’ils ont une telle force de persuasion auprès de leurs abonnés, « c’est parce qu’ils leur parlent d’égal à égal, comme s’ils parlaient à un ami », souligne Brian Rolling, cofondateur de MurMur Impact, un groupe qui aide les jeunes à se mobiliser pour la cause progressiste américaine, en les accompagnant dans la création de contenus en ligne. Pour lui, « l’authenticité » est reine dans cette nouvelle forme de communication qui « pourrait avoir une influence sur l’issue du scrutin de novembre ».
Sur Instagram, Sari Beth Rosenberg, une autre influenceuse, filme les coulisses de la convention, approche les stars mais aussi « les délégués locaux et les gens de tous les jours ». « On va faire comme si j’étais votre pote là-bas. Dites-moi ce que vous voulez voir et j’essaierai de vous le montrer », promet-elle depuis le lit de sa chambre d’hôtel. L’actrice et chanteuse Malynda Hale garantit, elle aussi, des contenus « sans filtre » à ses quelque 53 000 abonnés.
Pour Thomas Gift, cette apparente authenticité n’est pas sans risque : « Le cadre réglementaire est très flou pour l’heure, et rien ne les obligerait à stipuler s’ils ont été payés pour ces publications », estime-t-il. Les influenceurs interrogés par Le Monde assurent toutefois n’avoir reçu aucune rémunération ni instructions de la part du parti pour couvrir l’événement.
Pour payer l’hôtel et le déplacement, Kory Aversa, que ses 129 000 abonnés TikTok connaissent sous le nom de Philly Publicist, parle même d’un « sacrifice » financier. Mais « cette élection est trop importante, je me devais d’y être, et d’y emmener mes abonnés », justifie-t-il. « Quand Joe Biden est monté sur la scène, c’était un moment tellement rempli d’émotion, tout le monde a pleuré », raconte l’influenceur LGBT de Philadelphie. Les médias traditionnels peuvent bien le raconter, concède-t-il – Le Monde a, par exemple, retenu sa « larme à l’œil » –, « mais en regardant ma vidéo, je veux que tu sois là à pleurer avec moi ». Pour peut-être, en novembre, voter comme lui ?
Louise Vallée
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